Poemas traducidos al francés


Mauvaise mémoire

Trad. Stéphane Chaumet

 

L’histoire est une science fondée sur la mauvaise mémoire
Miroslav Holub

 

Quand arrivèrent les premières pluies
nous fîmes le nécessaire
nous descendîmes de nos hautes pensées
et commençâmes à labourer les champs
nos mains nous servaient de pelles
et les pieds étaient nos pieds
nous arrosâmes la semence
avec nos larmes

Vinrent ensuite les prêtres
enveloppés de grandes plumes jaunes
et avec des mots plus rutilants que la mer
ils parlèrent un langage rempli d’images
et pour eux nous fîmes
ce qui était nécessaire

nous construisîmes une longue route
très longue
une route grandissime
qui allait de la maison des morts
jusqu’à celle des moribonds

alors apparurent les nuages
sur la rivière ronde
et nous entendîmes des voix
qui dépeçaient nos vocables
nous comprîmes que la fin était proche

et nous fîmes le nécessaire
nous étalâmes le peu que nous possédions
et feignîmes de tout savoir
nous apprîmes à pleurer
comme les femmes et les enfants
apprirent à mentir comme les hommes

trois grands trous s’ouvrirent dans le ciel
par le premier descendit la lune
par le deuxièmement monta le serpent
et par le troisième
(ceci vous le savez déjà)
tomba une étoile de fer blanc
quand elle toucha la terre
nous sûmes que le temps était accompli

nous fîmes le nécessaire
nous déchirâmes le voile
et battîmes le tambour
jusqu’à ce que le vide
fût installé dans nos coeurs

une face inconnue apparut
dans les fils de la toile
et quand ses lèvres bougèrent
un nouvel espace devant nous surgit

nous fîmes le nécessaire
nous prîmes les montagnes
et nous les retournâmes bouche en bas
pour qu’elles récupérassent le souffle
nous saisîmes les rivières
et nous les mîmes debout
pour qu’elles vissent à nouveau le ciel

nous prîmes ensuite nos corps
avec beaucoup de précaution
par la pointe des ailes
et nous les lavâmes dans le miroir des noms

alors ils nous ordonnèrent de nous réveiller
et nous fîmes le nécessaire
en arrière restèrent les champs
et les cloches souillées
par le chant d’un oiseau de l’autre monde
restèrent en arrière aussi les cartes
préparées pour la fuite
et nous n’eûmes d’autre choix
que de poursuivre le chemin sans carte
ce qui est la même chose
que de rester là où nous sommes

nous entendîmes venir du fonds de la terre
la sourde rumeur
d’un tourbillon de rien
poussé par un vent nouveau né
entre les mains
la créature nous dit
ce que toujours nous avions voulu savoir
et que toujours toujours nous avions oublié
qu’il n’est pas d’autre rêve que celui-ci
et que l’éveil est un autre rêve
plus profond
si nous nous réveillons en dedans
ou plus superficiel
si nous réveillons en dehors

comme nous ne comprenions pas quoi était quoi
nous fîmes le nécessaire
nous nous assîmes pour attendre
l’éboulement

et nous continuons ici attendant
comme si attendre
n’était pas labeur suffisant.


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